La vie des togolais : Portraits

Article : La vie des togolais : Portraits
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12 juin 2017

La vie des togolais : Portraits

Cette série de portraits fictifs d’habitants ou originaires de ces 56 600 km carrés que nous appelons Togo se permet de décrire le quotidien tel que nous le vivons ici. Avec ses peines, ses scandales, ses tragédies; ses défaites mais aussi ses joies, ses succès, ses heureux dénouements et ses particularités. Si  dans cette partie de l’Afrique bien de préjugés fusent çà et là, la réalité n’est pas souvent fidèlement dépeinte. Car ici ce sont les petits plaisirs qui permettent de tenir le coup et le togolais stoïque qu’il est a bien adopté l’attitude de « la vie c’est un masque .

 Je m’en vais vous présenter aujourd’hui Fo Djo alias Tonton la vie c’est les moyens. 29  ans. Ne lui dites jamais qu’il est proche de la            trentaine. Caissier dans une banque de la place, coureur de jupons devant l’eternel, lundi matin tu ne le verras jamais d’aplomb. Pas qu’il a eu  assez des responsabilités spirituelles le dimanche. Jamais au grand jamais il ne va à l’église malgré les supplications de sa maman. Mais il     connait un an à l’avance tous les jours fériés surtout chrétiens. Des dizaines de bouteilles de bière du weekend il ne lui reste qu’une humeur         mauvaise et une profonde haine envers le système capitaliste. Aussi ne commence t-il à « émerger » un de ses mots favoris que vers mardi soir     ou mercredi matin. Depuis qu’un certain soir de l’année dernière avec quelques compagnons de beuverie il a écoutée le morceau des Toofan il ne fait que répéter à qui veut bien l’entendre que la vie c’est les moyens. Moyens qu’il a forcement. « C’est quoi la vie ? C’est quoi les moyens ? Ainsi déblatère-t-il à longueur de ses rares journées de clairvoyance. Journées qui finissent toujours au bar ou en boite de nuit.

                                                        ‘‘Il faut avoir les moyens de ses ambitions. »

Fo Djo, troisième d’une fratrie de sept enfants que son retraité de père a essayé  de pousser aussi loin qu’il le pouvait,  a vu ses rêves de bourse d’études au canada mourir et se transformer en BTS il y a quatre ans de cela. Qu’à cela ne tienne, il réussit à décrocher un long stage et un poste de caissier dans une de ces banques marocaines de la place. Le temps de l’euphorie passé, comme tout jeune qui se respecte et ayant surtout des moyens il déménagea. Se trouvant un deux-chambres- salon et une petite Citroën. En avant la vida loca ou le agbekoko comme on dit ici. En fait de belle vie c’est surtout une routine bien huilée au millimètre près qu’est devenue sa vie. Il faut avoir les moyens de ses ambitions disait-il. Et pour Fo Djo les ambitions se résument à trois nuits en boite par semaine. « Miami », « Château » et autres. Un weekend par mois à Kpalimé ou Aného (au début de son boulot, le rythme ayant diminué depuis). Et surtout une nouvelle fille chaque semaine.

Dieu merci aux chinois, il arrive à tenir son ratio d’une nouvelle veste par mois. Le style c’est important. Le 28 du mois, peu importe le jour, à midi tu le verras dans le prêt -à- porter de Moussa. À la recherche de son costume. Et surtout pour voir la belle Salamatou, la petite sœur de Moussa qui gère la boutique en l’absence de ce dernier. Les belles rondeurs jusqu’ici inaccessibles  de Salamatou occupaient une place essentielle dans la vie de Fo Djo. Et comme la vie c’est les moyens, il n’arrive jamais à la boutique sans du bon chawarma et du yaourt. Fan du détail, Fo Djo a même mis ces à-côtés dans son budget mensuel.

Mais depuis un certain moment, Fo Djo n’a plus cette joie de vivre. Il est même devenu démographe avec des théories du genre un pain que tu mangeais seul, qui te suffisait à peine se voit réduit de moitié si tu as une femme, de tiers si tu as un gosse ainsi de suite. Car entre temps il a trop fait pompette avec la jeune Adjoa et depuis bientôt un mois la stagiaire d’un jour de la banque aspire à un CDIE (contrat a durée indéterminé avec enfant) dans le deux-pièces de Fo Djo. Deux pièces dont le bail d’un an arrive bientôt à terme. En bon viveur, ce dernier voyant ses moyens réduits à court et long termes et ne sachant plus à quel saint se vouer s’est rabattu depuis un certain temps sur Facebook avec des posts quotidiens genre : « c’est la fin qui justifie les moyens ».

Devenu bigot, virtuellement du moins, les moyens devenant de plus en plus rares mais assez suffisants pour se payer les forfaits internet, il ne fait plus que partager les posts des pages à connotation religieuse, les pages « citations du jour », ou encore « comment réussir sa vie en trois leçons », etc.. Et au détour dune bière grignotée sur le temps qu’il n’a plus il te dira toujours avec un sourire lointain « la vie c’est les moyens à condition que les moyens durent sinon tu fais avec ».

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Commentaires

Anne Christelle
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Agréable lecture. Une description avec beaucoup d'ironie et qui semble pourtant si réelle. De plus, il y en a des comme ça, un peu partout en Afrique, et même dans mon cher Cameroun.

belizem
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Oui, en gros pas de grande différence entre nos pays et des réalités non plus disparates. Merci d'être passée.